dimanche 12 février 2012


12 juillet 2011

Ceci est le sixième billet relatant mon expérience de showrunner d'une série télévisée française:


La solitude du showrunner de fond (et de forme).

Le travail d'un showrunner a quelque chose du marathon. Porter la vision d'une série sur une aussi longue période et fédérer autant de talents, de compétences, d'individualités et d'énergies autour de cette vision, est une tâche complexe, exigeante et totalement accaparante.

Il faut cumuler une bonne connaissance (ou au moins une grande compréhension) de chaque poste, une maitrise éprouvée du processus de création, des qualités de diplomatie (ascendante et descendante) inaltérables, une grande force de conviction et si possible de caractère. Éventuellement, un tempérament obsessionnel, un amour immodéré des voyages en train/avion et une aptitude à se passer de sommeil sur de longues périodes peuvent se révéler utiles.

Un sacré couteau suisse ! La pratique et l'exercice quotidien de ces "compétences" fait partie du « kit » du showrunner. Au premier rang desquelles la conviction.

La conviction est première, la conviction est contagieuse. La conviction est fédératrice. Tout d'abord il faut convaincre productions et diffuseurs de croire en votre projet, puis lors du développement, de la pré production, de la production, convaincre les réalisateurs, les acteurs, les actrices, les techniciens, d'y investir leur talent, convaincre en retour producteurs et chaines qu'aussi, sur ces choix là, on a eu raison et qu'ils ont raison avec nous de croire en cette alchimie. Convaincre sur le plateau de la vision qu'il faut porter (et parfois supporter) de sa cohérence, sa particularité et de sa finalité. Enfin, lors de la post production, convaincre des bons équilibres, des bons rythmes, des bonnes options. Poser le style, garder le ton. Bref convaincre, convaincre, convaincre...

Une autre façon de dire qu'on doit, avant comme après tout, mettre ensemble des gens qui arrivent tous en cours de route à l’intérieur d’un même projet. Les embarquer dans ce qui a été conçu, pensé, construit et validé à chaque étape pendant de longs mois, et que l'on doit garder et transmettre mais aussi parfois défendre et préserver. Parce qu’il y a beaucoup de gens concernés. Parce qu’il n’y aura qu’une seule série au final.

Une série est un travail collectif. Une série est un organisme vivant.

C’est pour cela que dans la longueur du processus, la tâche du showrunner revient aussi parfois à devoir arbitrer, trancher, décider. Quand il faut accorder des visions, des goûts, des envies différentes, mettre au service du même projet des gens qui ne pensent, ne voient ou n'entendent pas pareil. C'est particulièrement sensible dans ces périodes de post production où s'assemblent tous les rouages, où les choix de forme se font, et le style de la série doit se révéler et s'établir.

Une phase cruciale, qui, dans ce que nous appelons le « pilote » (le premier épisode test), va poser les fondamentaux de la série. Il faut penser global, collectif. Il faut penser sur la longueur.

C’est l’objet de beaucoup d’attention. C’est l’objet de beaucoup de tensions.

J'aurais beau me dire qu'en France où le processus de fabrication et les structures de productions ne sont pas encore adaptées au format de création d'une série, le travail d'un showrunner est plus ardu qu'ailleurs…

… J'aurais beau me dire que nos glorieux ancêtres ayant coupé la tête de leur roi, nous sommes dans un pays où tout le monde est roi, et chaque tête sur des épaules (y compris la mienne) un royaume en soi...

…J’aurai beau me dire que le temps et les moyens sont toujours insuffisants et que l’on travaille trop dans l’urgence…

… J’aurai beau me dire tout ce qu’on veut, je ne pourrais m'empêcher de penser que chaque discordance, chaque inadéquation, fussent-elles passagères, est un de mes manques à convaincre. Et que le travail immense et inconfortable qu'il faut pour repositionner les choses est une sorte d'aveu d'échec: celui de n'avoir pas su assez me faire entendre, comprendre, accepter! A chaque mécompréhension, chaque tension, chaque désaccord, je me dis que ma parole n'a pas été assez précise, ma présence assez forte, ma vision assez claire. Bref que je n'ai pas assez su CONVAINCRE. Et j'en ressens une profonde frustration.

Mais quand je regarde les premiers épisodes de la série, je me dis que tous ces petits échecs nous ont conduit, dans leur challenge, à une belle réussite. Et dans la solitude du showrunner de fond, je garde les yeux sur la ligne d'arrivée en me disant que, peu importe ce qu'on a couru ou porté, la récompense sera, au delà de toute attente, de réussir, passé cette ligne, à vous emmener avec nous!