dimanche 12 février 2012


8 Octobre 2011

Ceci est le septième billet relatant mon expérience de showrunner d'une série télévisée française.

 « J’ai une question pour toi. »

Les scénarios des trois prochains épisodes étant bouclés, les castings, les costumes et les décors étant validés, les planning de fin de prépa, de tournage, de post-prod étant calés et le premier jour de tournage approchant à grands pas, une nouvelle mantra, psalmodiée par de nombreuses lèvres, ferventes ou impatientes, m’attend à chaque réunion/ rendez-vous /croisement dans un couloir/coup de téléphone…

Quand je dis « m’attend » ce n’est pas seulement une figure de style, car cette phrase, oh combien répétée ces derniers jours, recèle bien une « attente » : celle que matérialise graphiquement avec l’élégante courbe qu’on lui connaît, la ronde volute d’un point d’interrogation. Autrement dit, l’attente d’une réponse.

Ma réponse.

Cette mantra, qui vient donc régulièrement se subordonner (au sens grammatical du terme seulement hein !) à toute « proposition » qui m’est adressée,  se constitue de ces quelques mots désormais incontournables: « J’ai une question pour toi !».

Vos esprits avisés auront remarqué une sorte d’anomalie dans ce qui vient d’être écrit. En effet en dehors du mot « question », il n’y a pas dans cette phrase de point d’interrogation. C’est normal : la question vient APRES.

Enfin, DEVRAIT venir après car c’est là que les circonstances évoquées plus haut entrent en jeu : nous sommes bientôt en tournage et les questions qui restent… ne sont plus des questions.

Aussi me faut-il, à chaque fois, traduire en langage de production la non-question qui m’est posée. La langue française recèle des nuances telles que la même phrase, sur le même ton, prend un sens différent en fonction de chacun de ses locuteurs.  En voici donc un petit inventaire non exhaustif avec à chaque fois la traduction appropriée:

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (directeur de production) : « Y’a trop de figurants dans cette scène !»

-       Hey, comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (premier assistant) : « Faudrait caser cette scène dans un autre décors. Ça rentre pas dans le plan de travail. »

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (second assistant) : « On est dans la merde, machin(e) est plus libre le jour où il/elle doit tourner cette scène ! »

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (réalisateur) : « J’ai une nouvelle idée pour filmer cette scène. »

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (producteurs) : « Faut que tu remplace cette scène d’action par des dialogues, on est au dessus du budget»

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (scripte) ; «Il faut supprimer/rajouter deux scènes, l’épisode est trop long/trop court de trois minutes»

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi. (acteurs/actrices) : « Tu fais chier, t’as supprimé ma scène préférée! »

-       Hey comment tu vas ? J’ai une question pour toi.  (régisseur) : « On n’a pas l’autorisation de tournage pour cette scène.»

Bien sûr, nous sommes très près du tournage et cette question-qui-n’est-pas-une-question en appelle à des ajustements de dernière minute, des micros réglages, des solutions d’urgences qui font que les nerfs et les ressources de chacun sont sollicités en permanence.

Une série, un tournage sont des organismes vivants, ils respirent, coûtent, changent, génèrent ou gèrent des imprévus permanents, surtout que les scènes sont nombreuses et précises dans des scénarios aussi découpés et « écrits-montés » que ceux de notre série.

J’ai la chance d’avoir autour de moi, non seulement une équipe d’un professionnalisme, d’un enthousiasme et d’une imagination exceptionnelle, mais une équipe qui joue collectif. Et je dois témoigner que la plupart du temps, si la question n’est pas une question, c’est parce que la machine a tourné, l’équipe s’est mobilisée de façon immédiate et huilée et que, lorsque le problème remonte jusqu’à ma décision, il est déjà accompagné de la meilleure des solutions possibles.

Ce qui me permet de donner à la question multiple  « Hey comment tu vas? J’ai une question pour toi », une réponse unique :

Je vais bien. Merci !