dimanche 12 février 2012


2 avril 2011

Ceci est le cinquième billet relatant mon expérience de showrunner d'une série télévisée française:



Hier matin, un membre anglo-saxon de notre équipe image, me voyant partir tôt a un rendez-vous avec les élus locaux alors que tout le monde se dirigeait vers la gare TGV pour rentrer chez lui, me demandait sur le ton de l’humour (British certifié) : « When does a showrunner stop running ? ».

Ma réponse, du tac au tac, fut: « I’m a French showrunner, I’m not running the show, the show is running me ». Rires.

A bien y réfléchir, maintenant que je suis seul dans le TGV du retour, ce qui sonnait hier matin comme une simple boutade du petit-déjeuner me semble tout à coup d’une étonnante justesse et je dois bien me rendre compte que je viens de faire un boulot qui n’existe pas !

Pas de ligne de budget pour le showrunning, pas de titre correspondant (« Directeur artistique ? Directeur de collection ? Directeur d’écriture? Créateur de la série ? Consultant à la production ? Un peu de tout ça ?… »), pas de statut, pas de bureau fixe, pas d’assistant attitré sur la longueur.  Et l’embarras récurrent (en dehors des membres anglo-saxons de notre équipe, habitués à travailler avec ce poste) de mes compatriotes à prononcer le terme américain de « showrunner ». Je me suis donc entendu être présenté la plupart du temps comme étant le « scénariste » de la série, présent sur le plateau, ce qui m’obligeait à rectifier à chaque fois « euh co-scénariste » pour ne pas léser mon co-auteur Alexis, et à ne rien rajouter d’autre pour ne pas me lancer dans des explications fastidieuses, et probablement prétentieuses. Un job qui n’existe pas n’a pas de nom. Point.

La création d’une série et sa conduite (ou si vous préférez sa « mise en œuvre » au sens propre comme au figuré) repose sur l’installation d’un processus ordonné et précis. Il faut accomplir les choses dans un certain ordre, et conserver autant que transmettre l’esprit original mais aussi la vision de la série tout au long de ces étapes. Une série n’est pas une succession de téléfilms, mais une oeuvre globale, construite, en évolution et en perpétuel devenir …

Si les productions Américaines (qu’on s’accorde à juste titre à considérer comme les références  en la matière, et les inventeurs du genre) ont toutes adoptées le principe du showrunning, c’est qu’il est le processus nécessaire et vertueux pour conduire ces étapes et valider toutes les contraintes de temps et de budget inhérentes aux séries avec le maximum d’efficacité et d’intégrité artistique. Une sorte d’épine dorsale qui tient le processus de création sur la longueur. Une série a une storyline. Une série a une couleur. Une série a un ton. Une série a un showrunner.

C'est ce que nous avons essayé de créer sur Antigone 34. Dans les limites, hélas étroites, de ce que permet le dispositif français actuel et le bon vouloir des uns et des autres.

Je remercie donc tous ceux et celles qui ont accepté de me suivre, m’ont accordé leur confiance, et ont joué le jeu de construire cette série avec une autre grille de travail, un autre processus, et qui se sont mis au service de ce projet avec talent, humilité et enthousiasme. Accepter un tel déplacement du centre de gravité des pouvoirs de chacun demande un grand professionnalisme et une grande générosité. Ces trois mois de prépa et de tournages ont été pour moi une expérience artistique et humaine inouie !

Je remercie aussi les quelques-un(e)s qui ont eu des difficultés à accepter ce processus nouveau et ses modalités. Travailler différemment est toujours une mise en danger, une mise en question, leur réticence m’a obligé à être meilleur.  

When does a showrunner stop running ? Hmm...